Europe : une addiction au gaz qui ferait rater les objectifs climatiques

Discussions cruciales en ce moment pour l’avenir énergétique de l’Europe : les Etats-Membres, la Commission et le Parlement européen débattent de la réglementation sur les infrastructures énergétiques de l’UE, ou RTE-E, afin de l’aligner sur les objectifs climatiques européens. La réglementation actuelle, adoptée en 2013 - avant l’Accord de Paris et les débats sur le Green Deal - ne permet en effet en aucun cas d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 : depuis son entrée en vigueur, le règlement RTE-E a accordé le statut de “projet d’intérêt commun” à 266 projets de gaz fossiles et a facilité l'octroi de près de 5 milliards d'euros de subventions et de prêts subventionnés par le contribuable pour 41 projets d'infrastructures de gaz fossiles.

Tout l’enjeu de cette révision de la réglementation est donc de déterminer la place du gaz fossile dans les financements européens, et par conséquent la place donnée aux énergies renouvelables. Pour le groupe des Verts/ALE, et pour Marie Toussaint, rapporteure sur le dossier en commission environnement, et rapporteure fictive pour la commission énergie du Parlement européen, l’objectif est clair : sortir le gaz de la réglementation pour pouvoir rediriger les fonds vers l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables. 

Au Conseil, les Etats étaient clairement divisés en deux, entre Etats pro-gaz et anti-gaz, notamment 11 États progressistes, coalition dont la France n’a pas daigné faire partie. Elle a plutôt tenté de jouer sur les deux tableaux : lors du Conseil du vendredi 11 juin 2021, Barbara Pompili a assuré soutenir la fin du financement des infrastructures gazières et s’est “en même temps” déclarée favorable à la modernisation des pipelines, et au "blending", le mélange de gaz fossile et d'hydrogène. Bien que présentée comme une mesure de “transition”,  cette proposition aura pour conséquence de maintenir des investissements dans les infrastructures de gaz fossiles. En effet, si l’hydrogène a un rôle majeur à jouer dans la transition, seul 5 % de l’hydrogène produit en Europe aujourd’hui est issu des énergies renouvelables, le reste étant fortement dépendant des énergies fossiles et/ou fissiles. De plus, pour des raisons techniques, moins de 10% d’hydrogène peut être injecté dans un gazoduc ‘classique’, le reste sera forcément du gaz fossil. Accepter le “blending” revient donc à persister dans notre dépendance au gaz fossiles et nous faire dévier de notre trajectoire vers la neutralité carbone. e. 

Pour expliquer ce positionnement de la France, il faut regarder du côté de ses intérêts dans l’énergie nucléaire : une alliance s’est formée entre la France et les pays pro gaz pour inclure le nucléaire dans la taxonomie de l’investissement durable. Cela pourrait expliquer la position très ambiguë de Paris sur le dossier des infrastructures gazières. 

Au final, alors que la France aurait pu faire pencher la balance vers l’exclusion totale du gaz, le Conseil s’est accordé sur sa position : officiellement un arrêt des financements de projets gaziers, mais le financement du blending et de l’hydrogène, même non renouvelable : la position du Conseil est un aveu d’échec qui condamne l’Europe à dépendre encore des énergies fossiles et rater ses objectifs climatiques.

 

Du côté de la Commission européenne, la proposition de révision mise sur la table exclut bien le pétrole, le charbon et le gaz des projets éligibles aux financements européens. Mais de subtiles arrangements permettent en réalité de continuer le financement d’infrastructures gazières avec l’argent public européen : réseaux de gaz intelligents et hydrogène pas forcément renouvelable par exemple… Par ailleurs, d’autres catégories comme des projets ahurissants de transport du CO2 (intégré dans les processus de capture et stockage du CO2) pourraient aussi être éligibles à ce fond public. 

 

Tout n’est pas perdu : avant le “trilogue” entre les 3 institutions, le Parlement Européen doit aussi proposer sa position sur le texte. Le groupe des Verts/ALE se bat pour une réglementation qui exclut réellement le gaz.

C’est un enjeu écologique et climatique bien sûr, mais également financier : non seulement l’Europe n’aurait, selon plusieurs études, pas besoin de développer de nouvelles infrastructures gazières pour répondre à ses besoins, mais le financement de nouvelles infrastructures, ayant une durée de vie de 40 à 50 ans, rendrait la neutralité climatique pour 2050 inatteignable et risquerait d’être un gaspillage de fonds publics dans des projets voués à être abandonnés. 

C’est également un enjeu démocratique : Dans la réglementation actuelle, ce sont les gestionnaires de réseaux de transport d’énergie (comme Enedis et GrDF en France), appelés ENTSO-G, qui sont chargés d’évaluer les besoins et de planifier le développement des infrastructures ! Si leur expertise est indéniable, leur conflit d’intérêt l’est encore plus. Les recherches des ONG ont montré que le réseau ENTSO-G avait depuis 2010 systématiquement surestimé les besoins en gaz dans l’UE. Nous militons donc pour une expertise indépendante, basée sur des arguments scientifiques, et non sur la course au profit des industries gazières. 

Nous poussons également pour garantir la dimension démocratique de la nouvelle réglementation RTE-E, en assurant la participation des citoyen.ne.s dans le choix et le design des infrastructures énergétiques de l’UE, avec une attention toute particulière pour les communautés autochtones et marginalisées, et en renforçant le rôle du Parlement européen dans le choix des “projets d’intérêts communs” présentés par la Commission. 

 

Les votes sur le rapport du Parlement européen auront lieu le 21 juin en Commission environnement, le 15 juillet en Commission énergie, et à la rentrée en séance plénière.

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