Loi climat : pas de faux semblants, il faut une vraie reconnaissance de l'écocide

En juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat adoptait à plus de 90% la proposition de porter la reconnaissance du crime d’écocide au référendum devant le peuple français. A travers son projet de loi Climat et résilience, le gouvernement rejette à la fois le référendum, la reconnaissance du crime d’écocide, et toute amélioration réelle du droit pénal de l’environnement.

C’est auprès des écologistes, lors de nos Journées d’été, que le Garde des Sceaux avait décidé de faire son annonce : plutôt que l’incrimination de l’écocide réclamée par les 150 de la Convention, il proposait de mettre en place un délit de pollution généralisée adossée à un délit de mise en danger de l’environnement. En grandes pompes, la Ministre de l’écologie ajoutait quelques semaines plus tard que le gouvernement brandissait ainsi “le glaive de la justice face aux voyous de l’environnement”.

Las. Au sein du projet de loi présenté ce mercredi, le gouvernement propose un Titre et trois articles visant à “Renforcer la protection judiciaire de l’environnement”, censés répondre à la requête de la Convention et d’un nombre croissant d’organisations, de juristes, et d’Etats à travers la planète. Le terme d’écocide y est repris, avec une définition galvaudée, qui ne recouvre pas les atteintes aux écosystèmes mais durcit les sanctions pour plusieurs formes, restrictives, d’atteintes à l’environnement. Qui plus est, le gouvernement propose d’assortir ces atteintes de sanctions inappropriées à la gravité de l’infraction : il définit un crime, et le punit comme un délit. Les critiques acerbes du Conseil d’Etat sur ce délit d’écocide ne font que le confirmer : le gouvernement a tenté une opération de communication, sans prendre avec sérieux l’enjeu de la reconnaissance de ce crime comme crime parmi les plus graves.

Les mots ont un sens.

Les mots ont un sens. L’écocide en a un, depuis sa première apparition en 1970 pour qualifier l’usage de l’agent orange par l’armée américaine au Vietnam. Il doit recouvrir les plus graves atteintes à l’environnement, et constituer ainsi un crime. Reprendre le terme d’écocide pour en faire un délit est au mieux une tentative de vider complètement de son sens ce terme et sa force, et donc d’affaiblir la dénonciation de ces très graves atteintes aux écosystèmes mettant en danger la sûreté de la planète ; au pire, une faute.

Ce n’est pas tout. Car le gouvernement prétend proposer des dispositions efficaces pour lutter contre la criminalité environnementale. Pourtant, la définition donnée aux délits de mise en danger de l’environnement et de pollution généralisée sont eux aussi rendus quasi-inopérants par la définition et les conditions extrêmement restrictives auxquels ils sont adossés.

La lutte contre la criminalité environnementale devrait être une priorité politique, et faire l’objet d’un véritable débat public.

Faut-il également rappeler que le pangolin, un temps soupçonné d'appartenir à la chaîne ayant mené la Covid-19 chez l’être humain, est l’espèce la plus braconnée au monde ? Faut-il rappeler qu’y compris définie de manière restrictive, la criminalité environnementale est selon Interpol la quatrième source de financement des groupes armés et organisations terroristes à travers le monde ? Que l’argent issu de l’exploitation des ressources naturelles vient trop souvent voisiner les fonds issus de l’évasion fiscale au sein des paradis fiscaux, dont la récente enquête OpenLux vient rappeler la violente vivacité ? 

Avec sa proposition, le gouvernement nous montre une chose : sa compréhension du vivant reste limitée. Il nie la valeur intrinsèque de la nature en ne condamnant pas l’ensemble des actes lui portant atteinte, et continue de la segmenter en énumérant flore, faune, eau, sols, air… comme si les écosystèmes n’avaient pas un fonctionnement propre avec leurs propres interactions et interrelations. Il nie la capacité de l’action humaine à limiter les atteintes au vivant. Il nie enfin l’importance vitale de protéger ce dernier pour sa valeur propre. Il cherche encore et toujours à privilégier la protection de l’économie en croyant possibles des petits arrangements avec la nature. Or, nous n’en sommes plus là.

C’est à un changement complet de paradigme que l’écocide appelle.

Et la proposition portée par la Convention aurait dû mener à une incrimination exigeante de l’écocide, aux côtés de l’établissement d’un crime contre l’environnement et d’un délit de mise en danger des écosystèmes. Nous aurions besoin d’un large débat sur la criminalité environnementale, que ne nous permettra pas l’examen de ces trois articles au sein du projet de loi Climat et résilience.

Le gouvernement pêche enfin par le fossé abyssal entre ses promesses et ses actes : celle de reprendre sans filtre les propositions de la Convention citoyenne comme celle d’agir pour la reconnaissance internationale de l’écocide. Les Républiques des Vanuatu, des Maldives, ou encore la Belgique ont pourtant ouvert un débat essentiel pour le monde. Nous attendons encore d’Emmanuel Macron et de ses Ministres qu’ils élèvent la voix.

Face au dérèglement climatique, au dépassement de six des dix limites planétaires, à la violation des droits humains induites par nombre d’atteintes à l’environnement, nous ne pouvons laisser les crimes contre l’environnement impunis et encore moins les plus graves. Le gouvernement décide de jouer avec nos mots, sans répondre à nos revendications. Mais nous ne sommes pas dupes. Les faits sont têtus, il est urgent que les graves atteintes à l’environnement soient réellement reconnues comme des crimes.

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Revue de presse - L’Affaire du Siècle, février 2021

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