Qui a peur de la jeunesse ? - L’édito JUSTICE du 17 mars 2021

La jeunesse n’existe pas. En tout cas pas comme groupe homogène. Il existe plusieurs jeunesses, séparées par des barrières de classe, de territoires, qui ne se parlent pas et se rencontrent rarement. Il existe une tendance lourde : l’exclusion progressive de la jeunesse de notre société.

Notre société semble afficher un culte de la jeunesse comme valeur esthétique, à grands renforts de crèmes anti âge et de botox, de jean slim pour les quinqua, de fascination pour Tik tok ou de drague politique menée sur Twitch et you tube.

Mais dans le même temps en privilégiant le court terme au long terme, la génération du baby boom semble afficher une réelle indifférence au sort des plus jeunes.

Des exemples ?

Ici, la jeunesse étudiante, déterminée à éviter décrochage, exclusion et suicides, se mobilise et réclame un plan d’urgence contre la précarité. Avec raison, ils réclament leur droit à l’université, aux liens humains et sociaux, ainsi qu’à un socle de protection minimal : rappelons que les jeunes de moins de 25 ans n’ont droit à aucun revenu social, et que 15% des étudiants renoncent aux soins de santé pour des raisons économiques. Sont-ils entendus ?

Là, le Monde Magazine nous offre le récit des gamines perdues de Barbès, jeunes migrantes isolées ou mineures en rupture familiale, que la société ne sait pas aider. Oscillant entre drogues et violences (souvent sexuelles), ces jeunes femmes à la dérive ne trouvent de refuge que dans le soutien qu’elles se portent les unes aux autres. Les adultes démunis, de la police aux travailleurs sociaux, ne peuvent que constater de concert qu’on ne pas dégage pas les moyens humains et financiers pour développer les solutions adéquates à ce naufrage qui se déroule sous nos yeux qui ne veulent pas voir. Sont elles secourues ces enfants perdues ?

Ailleurs encore, le gouvernement pointe du doigt les jeunes des quartiers, chez qui la violence serait - dit-on - en cours de « banalisation ». Pour le gouvernement, les violences de bandes « explosent ». Et de jurer que les chiffres ne mentent pas : elles auraient augmenté de 24% entre 2019 et 2020. Une analyse un peu sommaire pour les sociologues spécialistes de longue date de ce type de faits: ce qui est nouveau, c’est l’écho médiatique et l’impact des réseaux sociaux. Gérard Mauger souligne ici que nulle tendance ne se dégage encore clairement quant à ces violences de bandes qui existent depuis longtemps. Personne ne peut tolérer ces violences.

Mais ce qui me frappe, c’est qu’à en croire la manière dont le sujet s’invite dans l’actualité, on semble avoir davantage peur des jeunes que peur pour la jeunesse

Quand des jeunes dits « des quartiers » se tuent entre eux, pour des motifs d’une futilité qui fait frémir, l’option communément choisie consiste à insister sur la monstruosité des actes commis. Pourquoi ne pas se demander de quoi ces crimes sont le symptôme ?

Le gouvernement macroniste souhaite répondre par une rassurante posture répressive (abaissement de l’âge de la responsabilité pénale, renforcement des moyens d’investigation et de lutte, recours aux interdictions à paraître). Mais rappelons des évidences : la lutte contre l’échec scolaire, contre la paupérisation et la dislocation des familles ou encore le chômage endémique sont des politiques bien plus efficaces que le déploiement d’effectifs policiers.

Le problème de fond est politique. Alors que la République est censée garantir l’égalité, une partie de la jeunesse de notre pays est abandonnée, enfermée dans des zones de relégation. les territoires délaissés, les services publics qui disparaissent, la prévention moribonde, l’avenir en berne pavent le chemin de rixes. Les jeunes « des quartiers » sont trop souvent stigmatisés comme étant des « bons à rien », pour lesquels on ne pourrait rien faire d’autre, d’autre que de les maintenir dans une trajectoire oscillant entre la rue et la prison.

On les craint comme la peste. Et ce faisant, on crée les conditions du pire. Dans la relation entre la République et sa jeunesse tout est à refonder. Il est d’autant plus urgent de prendre ce chantier à bras le corps.

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