Trois questions à… Elise Thiébaut - Newsletter du 14 avril 2023

Féministe, autrice de plusieurs ouvrages notamment Ceci est mon sang sur les règles, Elise Thiebaut vient de publier L'amazone verte (Le roman de Françoise d'Eaubonne)

Qui était Françoise d’Eaubonne ?

C'était une femme de lettres et une militante engagée : résistante, puis communiste, elle rencontre dès 1949 Simone de Beauvoir lors de la parution du Deuxième Sexe, puis s'engage dans le combat anticolonialiste, participe à Mai 1968, cofonde le MLF puis le FHAR (Front homosexuel d'action révolutionnaire) alors qu'elle se définissait elle-même comme hétérosexuelle. En 1974, elle a la révélation de l'écologie et écrit un essai visionnaire : Le Féminisme ou la Mort, dans lequel elle forge ce concept nouveau d'écoféminisme, un mot qu'elle a inventé.

Qu’est-ce que l’écoféminisme ?

C'est d'abord une grille d'analyse qui met en évidence un impensé du marxisme : derrière le capitalisme, il y a le patriarcat. Et ce système de domination dont elle a décrypté les effets dans plusieurs essais, non seulement opprime les femmes et les exploités, mais détruit la planète au profit de quelques-uns, dans une course folle à ce qu'elle appelle "l'illimitisme du lapinisme phallocratique". En 1974, sa pensée est avant-gardiste et prédit déjà les dégâts de la surpopulation et de la surproduction : pollutions, pandémies, dérèglement climatique... A l'époque, personne ne l'entend. L'écoféminisme existe à partir des années 1980 dans les luttes antinucléaires ou pour la protection des terres, avec des activistes comme Vandana Shiva ou, aux Etats-Unis, des penseuses comme Starhawk. Le principe consiste à réhabiliter le sensible, la coopération, le soin, en réaction aux violences du monde industriel envers les peuples et, en particulier, les femmes. Pour Françoise d'Eaubonne, il faut prendre le pouvoir aux hommes pour le détruire et fonder une société nouvelle, vraiment égalitaire et décroissante. Ainsi disait-elle "la planète reverdirait pour tous".

Vous la comparez à Virginie Despentes...

Elle m'a fait penser à Despentes par sa radicalité sans concession, sa façon crue de s'exprimer, et aussi par le caractère fulgurant de sa pensée, qui ne manquait pas d'humour. Elle n'est pas une universitaire, contrairement à la plupart des féministes que l'on connaît. Dès les années 50-60, elle parle de sexe, de genre, d'homosexualité, d'antiracisme de façon absolument inédite à une époque où cette liberté de ton n'existe que pour les hommes (et encore !). Elle revendique aussi cette liberté jamais accordée aux femmes : baiser, boire, faire la fête, mais aussi mettre au monde des enfants qu'elle n'élève pas au quotidien, vivre seule, refuser les conventions, assumer un corps qui ne correspond pas aux normes et aimer des hommes bisexuels beaucoup plus jeunes qu'elle...

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