Vigilance - L’édito Justice du 31 mai 2023

Demain, jeudi 1er juin le Parlement européen aura à prendre position sur le devoir de vigilance européen, et notamment sur la responsabilité des entreprises de se conformer à l'Accord de Paris. Pour celles et ceux qui ne comprendraient pas l'enjeu, l'actualité fournit un point d'appui précieux. S’est ouverte ce mercredi l’audience de mise en état de TotalEnergies, attaquée pour irrespect de son devoir de vigilance climatique par des associations, dont Notre affaire à tous, et une dizaine de collectivités parmi lesquelles Grenoble, Bayonne, Paris ou encore New York City. 

Je laisse de côté les aspects les plus juridiques du dossier, qui sont passionnants, mais non sans avoir remercié les juristes, ONG et militant·es qui ouvrent de fait un nouvel âge du contentieux climatique. Leur action est salutaire. Mobiliser la force du droit et la rigueur des textes pour préserver notre futur est une œuvre de salubrité publique. Car le droit n'est pas une langue morte, mais bel et bien une matière vivante qui décide des normes et règles qui régissent notre monde commun. En l'occurrence, il s'agit d'obliger Total à faire face à ses responsabilités climatiques. Nous ne pensons pas qu'une entreprise ne doit rendre des comptes qu'à ses actionnaires. Elle a aussi une responsabilité sociale et ne peut agir mue par le seul appât du gain.

Total n'a eu de cesse, depuis les années 70, d'agir contre les législations climatiques. Pas par ignorance, non. Par rapacité. Redisons-le: Total savait et a pourtant choisi de mentir. Le géant pétrolier connaissait les mécanismes du réchauffement. Mais parce que leur profits pesaient à leurs yeux manifestement plus que nos vies, la firme n’a cessé d’agir pour dissimuler ce qu'elle savait, et louvoyer pour ne pas avoir à agir en conséquence. C'est le passé me direz vous. Non. Pas seulement. Leur refus d'obtempérer à la mise en demeure climatique se décline à tous les temps. Ils argumentent encore aujourd'hui leur choix délibéré de poursuivre dans la voie destructrice qui est la leur. Ils parlent de modèle économique, dénoncent l'hypocrisie des États (on ne peut sur ce point totalement leur donner tort), verdissent leur image et fournissent des éléments de langage à leurs employés et employées pour les aider à dissiper le malaise que leur entreprise inspire. Ils résistent et freinent toute évolution qui semble aller dans le sens d’une contrainte plus grande qui s'exercerait sur eux. 

La réalité, c'est que pendant des années Total et ses ancêtres ont constitué un véritable État dans l'État. Ils supportent donc d'autant plus mal aujourd'hui de voir leur modèle remis en cause par des citoyennes et des citoyens demandant que la lutte contre le dérèglement climatique devienne une boussole. TotalEnergies est donc vent debout contre le texte en discussion à Bruxelles. C'est que le devoir de vigilance pour les entreprises est une notion qui repose sur un principe assez facile saisir : les entreprises ont une responsabilité à l'égard de la société dans laquelle elles opèrent. Elles ne peuvent agir en toute impunité, en négligeant les conséquences de leurs activités sur l’environnement et les droits humains. Simple, basique.

Sauf que voilà, comme disait feu Michel Audiard dans une de ses formules lapidaires « Un financier, ça n'a jamais de remords. Même pas de regrets. Tout simplement la pétoche. » Pétoche... L'expression est plus vieille que Greta Thunberg ou Camille Etienne. Mais la formule d'Audiard pose une question redoutablement actuelle. L'impunité des puissants nourrit-elle leur crimes climatiques? Vous avez quatre heures. Ou plutôt non : 30 secondes suffiront, tant l'évidence s'impose. Ne nous étonnons pas que les méga-pollueurs balaient leurs responsabilités d’un revers de main dédaigneux : ils ne risquent pas grand chose. 

Mais les temps changent. Depuis que les procès s'engagent, sur le front du climat, TotalEnergies et consorts semblent n'avoir peur que d'une chose : que la justice leur tombe sur la tête. Ils font tout pour retarder les procès, engagent des procédures baillons, car chaque minute compte. Pendant ce temps, le cauchemar environnemental et social se poursuit. Les violations flagrantes des droits fondamentaux se multiplient dans les chaînes d'approvisionnement mondiales. Des travailleur·euses sont exploité·es, des communautés locales sont déplacées de force, et les droits de populations autochtones sont bafoués. L'extractivisme et notre addiction aux fossiles constituent une malédiction dont les conséquences sont vertigineuses. Les écologistes le disent depuis toujours. 

Mais désormais nous ne sommes plus seul·es. Je pense, en écrivant cet édito, à Hilda, Vanessa ou Patience, ces jeunes activistes qui sont pour moi des sœurs de lutte alors que des kilomètres nous séparent. Elles nous enjoignent de protéger leurs parcs naturels ougandais de l'avidité de Total et de son projet EACOP qui ravagerait des réserves de faune sauvage, et saccagerait des territoires habités par des communautés autochtones comme les Bunyoro et les Basongora. Tout ça pour quoi? Pour du pétrole. Pour un pipeline géant de 1445 kilomètres.

Ne détournons pas le regard, ni de l’Ouganda ni d’ailleurs. Si nous ne sommes pas en mesure de requérir des entreprises qu’elles respectent l’Accord de Paris, alors nous ne serons pas en mesure de limiter le dérèglement climatique. Si nous n’obligeons pas les entreprises à réduire drastiquement l'usage du plastique ou à bannir les polluants éternels PFAS alors nous ne serons pas en mesure de protéger notre santé, car nous nous condamnerons à vivre sur une planète toxique. 

Je veux le dire clairement. En exigeant un devoir de vigilance contraignant, nous ne défendons pas seulement une idée, mais bien davantage : nous défendons une changement concret qui améliorerait les conditions d'existence du plus grand nombre. Car le devoir de vigilance obligerait Total comme les autres entreprises à établir des mécanismes de contrôle et de prévention des atteintes aux droits humains tout au long de ses opérations. Le devoir de vigilance viendrait rappeler que le pouvoir de l’argent ne peut être ni au dessus des lois de la nature, ni au dessus de la loi commune. 

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