Sortir de la civilisation des toxiques - L’édito JUSTICE du 24 mai 2022

Un clou chasse l'autre dans la profusion d'informations qui se frayent un chemin jusqu'à nous. Il y a une quinzaine de jours était diffusée une enquête du magazine d’investigation, "Vert de rage", menée par le journaliste Martin Boudot, qui avait notamment déjà travaillé sur les violences environnementales auxquelles sont confronté·es les riveraines et les riverains de l'ancienne usine Metaleurop dans le Pas-de-Calais. Une nouvelle fois ce travail d'investigation est d'importance. Que met il à jour  ?

Qu'une partie de la ville de Pierre Bénite, en banlieue lyonnaise, située dans la "vallée de la chimie", serait gravement contaminée par des perfluorés, polluants toxiques aux effets particulièrement néfastes pour la santé. Pourquoi y revenir dans cet édito? Parce que nous en avons assez du silence consternant qui accueille ce genre de révélations. Une fois encore, un scandale environnemental émerge sous nos yeux, et nous devrions nous taire? Mais pour ménager quels intérêts? Une telle affaire ne peut être mise sous le boisseau. Elle est, à bien des égards, emblématique des atteintes conjointes portées à l'environnement et à la santé des individus, avec une très visible dimension sociale. En écrivant ces lignes, je pense à l'angoisse des populations qui découvrent qu'elles sont peut-être exposées à des risques environnementaux importants. Nous nous tenons à leur côté, solidaires et mobilisé·es. Et nous, les écologistes, affirmons sereinement qu'il est grand temps de sortir d'un modèle qui pollue, empoisonne l'avenir et ravage le présent. 

Sortir de la civilisation des toxiques est à la fois un impératif de santé publique, et l'enjeu d'une mutation industrielle aussi inéluctable qu'indispensable. Certains soutiennent que la pollution serait un effet collatéral inévitable du développement économique, comme vient de le faire, à notre grande stupeur, le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence face aux pollutions des usines de Fos-sur-Mer. A ceux-là, nous répondons que nous refusons la fatalité et que les lois de l'économie ne sont pas au dessus des lois de la nature. Il est temps d'épouser un nouveau paradigme, où la garantie du droit à un environnement sain et le respect du vivant servent de base à la refondation de notre conception des activités industrielles. C'est une bifurcation majeure, j'en conviens. Mais elle est indispensable, sauf à consentir à l'empoisonnement des sols, des eaux, et des humains. 

A tous les échelons il nous faut donc agir contre les violences environnementales qui, rappelons-le, touchent souvent plus directement et plus durement les populations défavorisées. Certains considèrent encore que les questions sociales sont distinctes des enjeux environnementaux. Il leur faut savoir que la mémoire du mouvement ouvrier porte la trace des préoccupations environnementales. Les termes de « violences environnementales » étaient déjà employés par les syndicats en 1976. Les syndicats y dénonçaient déjà la chappe de silence qui entourait l'accident intervenu dans la même usine d'Arkema, alors détenue par Pechiney, tandis que le même jour, l'explosion de l'usine Seveso en Italie marquait l'actualité européenne. Cinquante ans plus tard, rien ne semble avoir changé.

Que faire? D'abord engager d'urgence la transition écologique du monde industriel: cela demande la volonté de toutes les parties prenantes, à commencer par les entreprises qui doivent accomplir les transformations nécessaires pour renouer un pacte civique avec nos sociétés, en s'engageant à ne pas porter atteinte à l'environnement et à limiter au maximum leur impact écologique. La Métropole de Lyon a ainsi, sous l'impulsion de son président Bruno Bernard, engagé la création d'un fonds d'amorçage industriel de 80 millions d'euros destiné à soutenir les projets en faveur d'une industrie plus vertueuse. Pour réduire les chimiques dans l'eau, la Métropole entend également mener une politique volontariste de réduction des pollutions dans les aires d'alimentation des champs captant. Mais il faut aller plus loin.

Il s'agit de durcir les normes nationales et européennes pour lutter réellement contre les toxiques. C'est une urgence absolue. Seule l'action continue des lobbies et l'aveuglement de nombreux responsables politiques demeurés prisonniers d'une vison obsolète explique le retard pris en la matière. A l'heure où l’Europe lance enfin (si tardivement) un plan d’interdiction massive de substances chimiques toxiques pour la santé et l’environnement, il faut agir avec la plus grande célérité et une détermination sans faille. Certains envisagent déjà des dérogations pour préserver certains usages jugés « essentiels ». Nous refusons cette perspective. La main du législateur européen ne saurait trembler si nous entendons réellement protéger les populations: nous plaidons pour une interdiction de la familles des PFAS au niveau européen. L'Europe que nous voulons est sans faiblesse devant les pollutions, visibles ou invisibles.

Enfin, il est important de lutter contre l'impunité, en dotant notre pays de moyens supplémentaires pour traquer les pollutions, et en renforçant la responsabilité pénale des entreprises qui, lorsqu’elles contreviennent aux règlements et aux lois, nuisent à l'intérêt général sanitaire et environnemental. Aucun lobby ne doit nous détourner de cet objectif. Nous savons ce qu'il convient de faire. Alors faisons-le. Le courage ne peut pas manquer quand c'est l'avenir qui est en jeu.

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Trois questions à... Thierry Ribault, chercheur en sciences sociales au CNRS

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LES MEUFS (ET LES GARS) QUI ASSURENT : Désertion