Trois questions à… Fabien Jobard, auteur de “Politiques du désordre”

Fabien Jobard est l’auteur (avec Olivier Filieule) de Politiques du désordre : la police des manifestations en France aux Editions du Seuil. Nous revenons avec lui sur les stratégies de maintien de l’ordre déployées en France.

1- Existe-t-il un maintien de l’ordre à la Française ?

Il y a longtemps eu un modèle français, né à la fin du 19e siècle et fondé sur l’existence d’unités spécialisées dans la gestion les foules. Il reposait sur la minimisation des violences, la mise à distance, le fait d’éviter d’aller au contact, et la riposte graduée. Cette doctrine a été adoptée un peu partout en europe dans les années 60-70 avec les mouvements de contestation dans l’hémisphère nord. A ce moment là, ce ne sont plus les ouvriers qui manifestent, mais les étudiants, les enfants de la bourgeoisie. La police utilise davantage des outils de mise à distance.


2- Vous parlez au passé…

Oui car la France a pris ce chemin à rebrousse-poil depuis une vingtaine d’années. Ce sont les violences urbaines au milieu des années 2000 qui amorcent ce tournant. La police met alors l’accent sur la répression. On voit ensuite que les manifestations adoptent elles-mêmes des techniques qui prennent à rebours la tradition française de maintien de l’ordre, avec des rassemblements non déclarés, des manifs sauvages, sans service d’ordre, sans itinéraire, sans interlocuteurs… Face à ces nouvelles formes de manifestations, la police s’est mise à réagir comme face aux violences urbaines: par la répression. A cela s’ajoute aussi l’omniprésence des chaines d’information en continu qui réduisent considérablement le temps de réaction policière. Quand la vidéo d’un feu de poubelle tourne en boucle ça a forcément un effet sur la réaction policière.


3- Le maintien de l’ordre est-il en crise ?

Le maintien de l’ordre, c’est une bataille idéologique, or on a aujourd’hui des policiers qui ont été formés à gérer des violences urbaines plutôt qu'au maintien de l’ordre. Ceux qu’on appelle aujourd’hui les blacks-blocks ont toujours existé dans les manifestations, on les appelait casseurs, anarcho-autonomes, altermondialistes… simplement on ne les gérait pas comme on a pu le voir récemment : on affichait une réaction différente selon qu’on s’adressait à ceux qu’on identifiait comme les fauteurs de troubles ou aux autres manifestants. Maintenir un lien et une communication avec les manifestants permet d’éviter qu'ils ne se rangent du côté des casseurs.

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