Trois questions à... Didier Pourquery, journaliste et auteur de "Sauvons le débat"

Didier Pourquery est journaliste, président du média associatif The Conversation France, membre du conseil de surveillance de Disclose, média d’investigation à but non lucratif. Il est l’auteur de « Sauvons le débat: Osons la nuance », publié en 2021 aux Presses de la Cité.

Votre livre s’appelle « Sauvons le débat » : vous l’estimez en danger ?

Ce qu’on appelle débat désormais est ce qui se passe sur les chaines d’information continue et les réseaux sociaux. Or ces médias sont des acteurs de ce qu’on appelle l’économie de l’attention, la fabrication de l’audience à faible coût (et contenus faibles aussi). Pour créer de l’attention on joue sur l’émotion : par la violence, les clashs, les petites phrases, l’indignation fabriquée. Si on limite le débat à la fabrication de fights télévisuels repris sur les réseaux sociaux, on vide la discussion démocratique de son contenu intelligent au profit de slogans et de matchs de catchs rhétoriques, des simulacres de débats. Le débat est menacé par cinq ennemis : l’urgence (temps court, petite phrase), la violence (la prime aux extrêmes), la défiance (« on nous cache quelque chose », « les médias mentent »), l’arrogance (néo-libérale notamment) et l’offense que certain·es voient partout.

 

Comment se fait-il qu'il y ait à la fois des débats partout à toute heure sur toutes les chaines, et autant de gens qui disent qu'« on ne peut plus rien dire » ?

Prétendre qu’on ne peut plus rien dire est un dispositif rhétorique permettant de mettre en scène une pseudo transgression, réactionnaire la plupart du temps ; cela valorise ces faux débats vite menés où l’on prétend « tout dire » et où en fait on dit n’importe quoi à condition de choquer. En réalité il y a quelques bons débats à la télé (C politique par exemple) ou à la radio (le temps du débat d’Emanuel Laurentin sur France Culture) mais leur pertinence est hélas trop souvent recouverte sur la chambre d’écho des réseaux sociaux, par le boucan des fabricants de clashs.

 

Vous misez sur la nuance, dites-vous : que voulez-vous dire ?

Il est temps de retrouver l’art de la conversation qui est une tradition française, depuis la disputatio du Moyen-Âge, « l’art de conférer » de Montaigne jusqu’aux discussions de salons au XVIIe et XVIIIe siècles. Le pari de l’intelligence, de l’écoute, du partage d’arguments et d’analyses… plutôt que la tyrannie de l’opinion et du commentaire. C’est cela la nuance. Cela s’appuie sur des médias de fond, plus lents (« slow médias »), sur une éducation à l’échange et à la curiosité active, et sur des outils comme l’ironie, souveraine contre le cynisme et l’arrogance.

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