Bourrasques - L’édito Justice du 10 novembre 2023

Des rues autrefois paisibles submergées par les flots. Des habitations qui semblent lutter pour rester debout. Les maisons, quelques instants avant encore synonymes de sécurité, éventrées ou envahies par les eaux boueuses. Les murs fragiles et les toits brisés qui exposent les intérieurs jadis chaleureux à la froideur du désastre. Les objets du quotidien devenus des débris flottants, témoignages silencieux de vies bouleversées. Ces images, nous les avons toutes et tous vues. Et chaque semaine presque, de nouveaux épisodes de tempêtes, d’ouragans, de « bombes météorologiques » nous explosent à la figure. Dans le Pas-de-Calais cette semaine, sur la côte Atlantique ce week-end, en Bretagne et en Normandie la semaine dernière, à Acapulco avec l’ouragan Otis juste avant, en Guadeloupe avec la tempête Isaac au début du mois. Et il ne s’agit ici que des mois d’octobre et de novembre. Chaque fois l’on nous parle de cette nature qui se déchaine et laisse derrière elle un tableau de destruction, de vulnérabilité, et d’isolement.

Mais cette nature dont on dit qu’elle se déchaine, comme pour rejeter la faute ailleurs, c’est pourtant nous qui l’avons déchainée. Et chaque bourrasque, chaque arbre déraciné, chaque toiture arrachée sont autant de rappels des conséquences du réchauffement climatique et de l’inconséquence qui est la notre. Une étude du MIT sur l'ouragan Harvey qui a inondé Houston en août 2017 a utilisé un modèle informatique pour comparer la probabilité d'obtenir les précipitations de Harvey dans un climat du passé récent et dans le futur. Elle a estimé que les précipitations de Harvey étaient environ six fois plus probables en 2017 qu'elles ne l'étaient en 1981-2000, en raison du changement climatique. Et dans un avenir proche, si l’urgence climatique n'est pas prise en compte à sa juste mesure, la probabilité sera multipliée par 18 d'ici à 2081-2100. Ces tempêtes et inondations ne sont que la pointe de l’iceberg. Et encore, les icebergs, eux, fondent… alors que le dérèglement s’accélère. Les incendies de forêt, la disparition des glaciers qui nous prive de ressources en eau potable, la montée du niveau de la mer, les vagues de chaleur, et la perte de biodiversité sont autant de preuves de la crise qui s'aggrave.

Non seulement elle s’aggrave mais elle risque de s’amplifier encore. Nous abordons dans l’interview de cette édition (voir ci-dessous) la question des bombes carbone, 425 gigantesques projets d'extraction de combustibles fossiles qui pourraient selon les experts épuiser quatre fois le budget carbone de l’humanité. Dans le même temps, seuls 16 États membres de l’UE sont à jour en matière d’efficacité énergétique, et la France traine toujours à investir dans les renouvelables malgré sa double condamnation pour inaction climatique après le recours en justice initié par l’Affaire du siècle. Vendredi dernier, le collectif a d’ailleurs relancé l’Etat après le rapport accablant de l’association Eclaircies qui pointe une réponse « faible et inadaptée » à l’urgence climatique. Pourtant, nous le savons, si nous ne réduisons pas drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, la situation continuera de se détériorer. Il ne s'agit pas seulement de préserver la planète, il est question de notre survie à commencer par celle des plus vulnérables. Faut-il encore rappeler que ce sont les communautés les plus pauvres et les pays les moins avancés qui subissent le plus durement les conséquences du changement climatique? Que les catastrophes naturelles touchent de manière disproportionnée ceux qui ont le moins de ressources pour y faire face?

Je pense à chaque victime, passée et à venir. Aux dix-sept morts de la tempête Ciaràn en Europe, à l’agent d’Enedis emporté à 46 ans alors qu’il intervenait pour réparer une ligne de moyenne tension abimée par les vents en Bretagne. Et je me demande: que font les dirigeants de ce monde ? La réponse est consternante : les puissants de la planète organisent la COP28 à Dubai, où elle sera présidée par un magnat du pétrole. L’information n’est certes pas nouvelle mais chaque fois qu’il me faut l’écrire noir sur blanc, il me semble lire une mauvaise plaisanterie. Oui, le plus grand sommet mondial sur le changement climatique sera dirigé, du 30 novembre au 12 décembre 2023, par le patron d'une entreprise de combustibles fossiles : le sultan Ahmed al-Jaber, PDG de l'Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), principale compagnie pétrolière nationale des Émirats arabes unis, dotée des quatrièmes réserves pétrolières mondiales.

Déjà, lors de la COP26, qui s'est tenue à Glasgow en 2021, les lobbyistes des fossiles étaient plus nombreux que les délégations nationales, environ 500. De fait, le pétrole, le gaz et le charbon étaient mieux représentés au sommet que les huit pays qui ont subi les effets les plus importants du changement climatique depuis 2000. L’année suivante, lors de la COP27 à Charm El-Cheikh en Egypte, ce chiffre avait encore bondi de 25% ! Sur ce sujet, l’Europe n’est d’ailleurs pas particulièrement exemplaire. Que penser de la nomination, comme commissaire au Climat, du néerlandais conservateur Wokpe Hoekstra dont le CV mentionne qu’il a travaillé pour le pétrolier Shell et dans le cabinet de conseil McKinsey ? Ce même McKinsey dont on a appris qu’il utilise sa position de conseiller à la COP28 pour promouvoir les intérêts de ses gros clients mégapollueurs (comme ExxonMobil ou l'entreprise publique saoudienne Aramco) en proposant aux organisateurs du sommet des scénarios énergétiques à grands coups de milliards d’investissements pétroliers et gaziers, évidemment incompatibles avec les exigences climatiques.

Comment attendre sincèrement d’un roi du pétrole, de l’ancien cadre d’une firme mégapollueuse ou d’un cabinet de conseil bourré de conflits d’intérêts qu'ils prennent les mesures qui s'imposent pour mettre fin à notre dépendance aux combustibles fossiles ? Winnie Cheche, défenseuse de l'environnement, activiste climatique et responsable de la communication au Kenya Environmental Action Network a eu cette formule à propos de la COP28 : « C’est comme charger un lion de protéger les antilopes ». Si nous avons été capables, à l’échelle européenne, d’exclure des institutions les lobbies de l’industrie du tabac nous devons en faire de même avec les lobbies des fossiles, car nous ne pourrons pas nous attaquer à la crise climatique tant qu’ils seront autorisés à influencer librement les politiques. Ce combat, que je porte à Bruxelles et Strasbourg depuis le début de mon mandat, est cardinal. Comme l’est celui de nous doter d’un Traité environnemental qui fasse de la protection du vivant la norme des normes, et empêche toute loi qui nuise à la planète et au climat. Ces dernières semaines nous l’ont cruellement rappelé : il est grand temps.

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Trois questions à… Oriane Wegner, Lou Welgryn, César Dugast, pour les associations Éclaircies et Data for good

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