Et surtout la santé ! - L’édito JUSTICE du 12 janvier 2023

Santé ! Si l’on pouvait enregistrer chaque mot prononcé au sein de chaque foyer français pendant les fêtes de fin d’année, celui-là serait certainement LE vainqueur indétrônable. Parce qu’il ponctue chaque repas de fête, parce qu’il est le vœu qui conditionne tous les autres, ce terme-là n’a pas réellement de compétiteur. C’est à elle, la santé, que je dédie cette première lettre d’information JUSTICE de 2023.

Nos voeux pourraient certes être nombreux en ce début d’année : pour la paix en Ukraine et dans le monde, pour la démocratie retrouvée au Brésil, pour la liberté des femmes afghanes et la victoire des iranien·nes, pour que des actes puissants suivent enfin les engagements souvent creux des dirigeants du monde pour le vivant, ou encore pour que le bonheur envahisse vos et nos vies. Ces vœux-là, je vous les envoie de tout cœur.

Mais soyons honnêtes. Qu’il est assourdissant le silence avec lequel le gouvernement accueille les hurlements des personnels hospitaliers, des infirmières, des sages-femmes, et même désormais, des médecins libéraux, après plusieurs décennies de détérioration de leurs conditions de travail encore récemment aggravées par la pandémie… Qu’ils sont désastreux, ces déserts médicaux qui s’étendent aussi vite que le désert progresse sous l’effet du dérèglement climatique et chasse la vie elle-même. Et qu’il est affligeant qu’y compris en ville, il devienne difficile d’accéder aux urgences, ou aux médecins de garde. Combien de vies sont-elles ainsi perdues, hachées, gaspillées? Quelles tourmentes sont ainsi infligées aux corps malades comme aux corps sains ? La santé doit redevenir l’une de nos priorités collectives. C’est possible.

Et si on célébrait ceux qui ne célèbrent pas

Encore une fois, j'aimerais lever mon verre à ceux qui n'en ont pas

A la façon de Stromae, je tiens aussi à adresser tous mes vœux de santé à celles et ceux qui usent encore aujourd’hui, en France, de leurs corps comme d’un fil à tendre le linge, maintes fois rincés, toujours prêts à craquer. Des ouvriers du bâtiment qui plient sous le poids de chaleurs violentes l’été et d’épisodes météorologiques incertains le reste de l’année, des femmes de ménage dont le sang et les cheveux sont aussi emplis de produits toxiques que leurs muscles de douleurs inapaisables, aux manutentionnaires des entrepôts d’Amazon ou aux livreurs des plateformes… À toutes celles et ceux qui, choyés pendant les confinements parce qu’ils apparaissaient enfin comme ce qu’ils sont: des “travailleurs essentiels”, furent aussitôt oublié·es. A elles, à eux, qui souffriront en premier d’une réforme injuste des retraites qui leur est imposée, je souhaite la santé.

A 62 ans, un quart des 5% des hommes les plus pauvres seront morts. Près d’un tiers à 65 ans. Les 13,5 ans d’écart d’espérance de vie qui séparent les 5% les plus pauvres des 5% les plus riches sont indignes. Les chiffres s’ajoutent, se superposent, se mélangent à n’en plus devenir lisibles même à celles et ceux qui pourtant voudraient pouvoir les lire… Je les égrène régulièrement dans cette lettre d’information, et au cours de mes combats pour la justice climatique et environnementale. Je vous épargnerai d’en citer trop, sauf un troisième, un dernier, révélé cette fois par l'agence publique France Stratégie : 70% des 10% des communes les plus pauvres sont exposées à la pollution de leurs sols, contre 42% des 10% des communes les plus riches. Qui peut encore prétendre que ces violences environnementales ne sont pas socialement, urbanistiquement, et donc politiquement construites?

Et alors que la 6e limite planétaire a été dépassée car les polluants éternels PFAS ont rendu impropre à la consommation l'eau de pluie partout autour de la planète, je nous souhaite d’emporter nos combats pour la santé, face aux ravages des lobbies qui ont réussi à obtenir de la Commission européenne un report du règlement REACH sur les substances chimiques… Ces lobbies ne nous lâcheront pas. Ceux de l’alimentation, comme Ferrero, qui mène la bataille contre le Nutri-Score quand 22% de la population européenne souffre d’obésité ; ceux de l'alcool qui l’ont emporté contre à la campagne publique de santé "Dry January", ce mois sans alcool, l’une des trois premières causes de mortalité évitable en France ; ceux du tabac, comme Philip Morris qui prétend vouloir mettre fin à la cigarette "traditionnelle" pour mieux promouvoir sa version électronique ; ou encore ceux de l’agro-alimentaire et des sucriers, qui obtiennent à nouveau le report de l'interdiction des insecticides tueurs d'abeilles néonicotinoïdes.

La santé requiert toute notre attention, toute notre énergie, parce qu’elle demande de s’attaquer au plus grand des fléaux : celui de l’avarice et du pouvoir de l’argent. N’en dites pas plus aux parents de ces cinq millions d’enfants qui, à travers le monde, sont morts avant d’avoir 5 ans en 2021, victimes du manque d’accès à des soins de santé de qualité, aux vaccins, à une alimentation adéquate et à de l’eau potable.

La santé est un combat. La justice aussi. C’est poignant. Éclatant. Désespérant aussi. Comme cette décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne, qui vient de rejeter la possibilité pour les victimes de la pollution de l’air de demander indemnisation et réparation aux pouvoirs publics, dont la faillite d’action est pourtant amplement reconnue. Comme cette décision du Conseil des Prud’hommes de Thionville, qui déboute 132 travailleurs de l’usine d’ArcelorMittal de Florange, contaminée à l’amiante, de leur demande d’indemnisation du préjudice d’anxiété qu’ils subissent depuis. Comme, évidemment, le profond déni de justice que représente le rejet, au motif de prescription, de toute responsabilité pénale dans l’affaire du chlordécone aux Antilles. La justice environnementale n’existe pas encore. Mais, pour la santé de toutes et tous, à force de sueur, et en essayant de ne pas y laisser notre propre santé, nous y parviendrons. Nous la ferons vivre.

Pour 2023, choisissons une société qui se détourne enfin de son obsession pour le profit, et de son dogme de la croissance. Ainsi qu’Eloi Laurent nous y invite, faisons de la bonne santé l’un des indicateurs premiers de nos politiques publiques. En 2023, continuons à nous battre, à nous mobiliser, dans la rue et dans nos quartiers, pour que chacune et chacun ait droit à la santé. Peu importe la formule, l’objectif est celui-ci : Santé !

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