Tribulations d’un chancelier allemand en Chine - L’édito JUSTICE du 9 novembre 2022

Mais qu’est donc allé faire le chancelier allemand en Chine, au moment même où l’Europe traverse une crise profonde, que la guerre fait rage à ses frontières, et que ses citoyennes et citoyens ploient sous le poids des prix de l’énergie ?

Le déplacement d’Olaf Scholz n’a rien d’anecdotique. C'est une double mauvaise nouvelle. Cette visite est à la fois le signe de la désunion européenne, et celui de l’enfermement idéologique dans le carcan des visées commerciales qui minent toute réorientation de notre politique économique, sociale, et écologique.

Pourtant, on pouvait croire à la fin de la naïveté européenne, consistant à faire du continent européen et de son immense marché intérieur l’un des territoires les moins restrictifs au monde en matière de commerce, sans véritables égards ni pour la nature des régimes avec lesquels il noue des accords de libre-échange, ni pour la nature elle-même, ni enfin pour l'autonomie stratégique européenne.

 

La Présidente de la Commission européenne avait, dans son discours sur l’état de l’Union, tracé une nouvelle piste pour l’Union en proposant de transformer en profondeur la politique commerciale européenne afin de nouer des partenariats privilégiés (et communs) avec les pays démocratiques et respectueux des droits humains, et de se libérer de notre dépendance à des dirigeants susceptibles d’exercer sur l’Union un chantage similaire à celui que Vladimir Poutine exerce aujourd’hui sur l’Europe.

La ministre écologiste allemande des affaires étrangères, Annalena Baerbock, qui a exprimé son opposition au voyage du chancelier, avait elle-même appelé à refonder en profondeur la politique extérieure allemande. Elle est la preuve que l'écologie n'est pas soluble dans la compromission.

Mais rien n’y a fait. Le chancelier Scholz s'est envolé pour la Chine, en bon VRP de l'industrie (polluante) allemande. Malgré le tournant plus répressif encore de Xi Jiping, malgré les Ouïghours et le travail forcé, malgré Taïwan.

 

Ce faisant, l'Allemagne, qui a tendance à faire de sa balance extérieure positive l'alpha et l'oméga de toutes ses politiques, use de la force puisée dans un marché intérieur partagé pour promouvoir égoïstement son industrie et ses intérêts purement nationaux. C'est ainsi qu'on porte des coups importants à la construction européenne. Les temps troublés que nous traversons révèlent les tempéraments. Nous n'ignorons pas que la peur de perdre le marché chinois après avoir perdu le marché russe a joué à plein. La Chine est le premier partenaire commercial de l'Allemagne et ce, pour la 6e année consécutive. Elle représente 10% du commerce extérieur allemand, et jusqu'à 40% du chiffre d'affaires de BASF, Siemens ou Volkswagen qui furent du voyage -tout comme BioNTech qui cherche à faire accepter son vaccin anti-covid par l'empire du milieu. Il y a quelques jours à peine, l’Allemagne avait déjà cédé jusque 25% du port stratégique d’Hambourg à l’entreprise publique chinoise Cosco. Le terminal à conteneur d’Hambourg en fait le premier port commercial d’Allemagne et... le troisième port commercial européen. Un enjeu majeur donc, pour l’autonomie stratégique européenne. Seul, Olaf Scholz a donc décidé de céder à un tiers particulièrement puissant une infrastructure stratégique pour l’ensemble de l’Union.

Olaf Scholz fait un pari hasardeux. Qu'il prenne garde à ne pas mépriser l'Europe. Car avant la Chine, c’est bien le marché intérieur européen qui constitue le premier partenaire commercial de l’Allemagne. Sans l'Europe, la politique commerciale allemande s’effondrerait. Lorsque les économies des états membres de l’Union s’embourbent à cause d’une inflation découlant très précisément de notre dépendance matérielle à des pays tiers, c’est bel et bien d’un Buy European Act que l’Europe, et donc l'Allemagne a besoin. Ici réside notre salut: dans la solidarité bien plus que dans les tribulations solitaires. Seule une relocalisation de la production en Europe et la reprise en main stratégique de nos terres, de nos infrastructures, de nos entreprises et appareils de production, pourront nous libérer de la dépendance.

 

A celles et ceux qui, se saisissant du prétexte de la visite du chancelier en chine s'empressent d'entonner un refrain anti allemand en essentialisant la politique menée par Scholz nous disons ceci: notre désaccord n'est pas marqué du sceau de l'anti-germanisme. Il est de nature politique.

Car Olaf Scholz commet une lourde faute: celle de considérer qu’à l’heure des pandémies globales, du réchauffement planétaire, et du dépassement des limites planétaires, c’est du commerce à tout crin que le monde tirera son salut. Le problème ne réside pas dans le fait que le monde n’échange pas assez de biens, mais qu’il en échange trop. La théologie du tout marché aggrave tous nos maux. L’explosion des échanges de biens, parfois produits dans de terribles conditions pour les droits humains et ceux de la nature, véhiculés à grande dose de CO2 et autres gaz à effet de serre, contribue à la destruction du monde. L’enjeu central aujourd’hui est de redéfinir les contours d’un commerce qui préserverait tout à la fois la démocratie et la capacité des peuples à décider de leur destin, et de garantir le retour de l’Humanité au respect des limites planétaires afin de garantir notre possibilité à tou.te.s de survivre sur Terre.

Olaf Schloz doit comprendre que la réussite du Green Deal, déjà mise en péril par les conservateurs et productivistes, dépendra là aussi de la capacité de l’Union à imposer des conditions de production et d’échange qui respecteront enfin notre santé, et celle de la nature. L'impératif éthique, l'exigence environnementale, le réalisme européen, tout nous amène à déplorer le chemin choisi par le chancelier Allemand. La réaction a une telle trahison de l'intérêt général européen ne peut être que l'appel à un nouveau cycle politique contraignant l'Allemagne à faire le choix de la construction solidaire plutôt que celui de la défense unilatérale de ses seules visées.

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