Trois questions à... MATTHIEU LÉPINE, auteur de « L’hécatombe invisible »

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Professeur d’Histoire-Géographie Matthieu Lépine recense depuis quatre ans les morts au travail, sur son compte Twitter. Les accident graves, aussi. Beaucoup d’hommes donc, puisque les métiers les plus à risques type BTP, monde agricole ou transports sont majoritairement masculins, mais aussi un nombre croissant de femmes (notamment dans les secteurs de la santé et du service à la personne) avec un bond de 40,9% entre 2013 et 2019. De cet inventaire, Matthieu Lépine tire aujourd’hui un livre-enquête, « L’hécatombe invisible », publié aux Editions du Seuil.

1- Comment vous est venue cette idée d’établir un décompte des morts au travail ?
 
J’ai entamé ce décompte en janvier 2019 sur mon compte Twitter mais je m’intéressais au sujet depuis quelques années et notamment depuis la phrase d’Emmanuel Macron qui, en 2016, avait déclaré que c’est l’entrepreneur qui « prend tous les risques » et qu’il peut « tout perdre ». Utiliser le terme « tout perdre » alors que des gens perdent la vie, j’ai trouvé ça indigne et j’ai voulu rendre ces morts au travail plus visibles.
 
2- Entre votre décompte et les chiffres officiels il y a un vrai décalage: considérez-vous que certaines morts sont invisibilisées ?
 
Selon que vous travaillez dans le public, que vous êtes marin, ou agriculteur ou autoentrepreneur, en cas d’accident du travail vous n’êtes pas comptabilisé par le même organisme, voire pas du tout comptabilisé. En 2019 la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie) a recensé 733 morts au travail, mais elle ne prend en compte que les salariés du secteur privé. La même année la DARES (le ministère du Travail) annonce un chiffre de 790 parce qu’elle compte aussi la fonction publique et les salariés affiliés à la Mutualité Sociale Agricole. De mon côté j’en comptabilise 896 pour 2019. Les invisibilisés sont les auto-entrepreneurs et les indépendants, puisque l’on considère que pour qu’il y ait accident du travail il faut qu’il y ait un lien de subordination.
 
3- Quels sont les principaux facteurs de risque de mort au travail ?
 
Aujourd’hui l’autoentreprenariat et l’ubérisation, de même que l’intérim et la sous-traitance, sont les principaux facteurs de risque de mort au travail. Quand, sur un chantier par exemple, on explose le collectif en faisant appel à des indépendants à qui on demande également une grande polyvalence, on favorise les risques. On comptait aussi 10000 accidents du travail chez les apprentis en 2019. Ce sont des gens qui sont en principe là pour apprendre et que l’on utilise comme main-d’oeuvre bon marché.

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